Il y a six mois environ, le bureau de l’association Procréadif nous exposait suite à l’appel d’offre du CUCS1 l’étrange proposition d’engager une intervention artistique dans une des cités de Bergerac. Nous hésitions au départ, circonspects. Qui peut avoir besoin d’ « actions concertées pour améliorer la vie quotidienne » ? Comment l’intervention de professionnels, sans l’exercice de l’amitié ou la rencontre défaite de rapports présupposés, pourrait modifier une vie, sinon par la privation, la guerre, la répression ? Devant l’apparition de ces questions, nous avons jugé préférable de laisser les instances concernées à leur pittoresque et monotone soliloque, et d’examiner la possibilité d’user d’une somme d’argent conséquente à destination de zones géographiquement définies. Amener la possibilité d’une fête désintéressée – sans chercher à la prévoir ni à communiquer à son propos – nous parut l’usage le plus satisfaisant. Notre réponse fut rédigée en conséquence, tandis que quelques repérages à Bergerac nous conduisaient à envisager de nous installer dans un des espaces résiduels du quartier de Naillac. Plus précisément, autour et sur le cadavre, constitué de gravas concassés, d’une des trois barres HLM qui formaient le cœur de ce quartier, dont une seulement reste actuellement debout et occupée.

Nous nous apprêtions donc à nous établir comme présence proche et étrangère dans un quartier en plein réaménagement, où l’on déplace les foyers de barres HLM en barres HLM ou de barres HLM en maisons individuelles (dans des lotissements voisins, répondant aux noms mignonnets de Tounet, Petit Clairat...).
En attendant le premier jour, nous soliloquions à notre tour au cours de successives discussions que nous pourrions résumer ainsi :

“ La période, qui a débuté depuis que la croûte terrestre fut acculée aux qualifications de privé et public, veut que les instances de pouvoir désignées gèrent non plus seulement le partage du territoire mais aussi la disposition du bâti. Et pour légitimer leur démarche, nous les voyons se munir de tout l’attirail idéologique de la domination marchande : confort, esthétismes et sécurité. Les grilles d’analyse ici agitées semblent moins servir la réalisation de la fable que sous-entend ce credo que chercher à imposer, comme on imposerait un changement de devise monétaire, le change de la convivialité contre la satisfaction d’être « intégré », établissant ainsi une équivalence de principe entre surveillance policière et menace de la dissolution du foyer. C’est qu’une certaine législation voudrait que ceux qui s’organisent et expérimentent, entre autre, l’hospitalité sans concession soient obligés de se mesurer à la répression policière et judiciaire tandis que ceux qui gagnent leur vie et réussissent doivent se montrer aussi méritants et dignes qu’un chien de cirque se montre agile dans la réitération de son numéro. Cette dualité – bien que navrante composante du discours qui voudrait asseoir comme réalité territoriale la fable sociale (essayant de nous convaincre qu’une carte est le territoire) – trouve son fondement en un fait simple : le milieu matériel et territorial, dont le bâti est une constituante, est déterminant quant aux potentialités relationnelles de chaque être. Fiers de cet enseignement et véhicules du discours à la mode sur l’identité de la carte et du territoire, nombre d’architectes et de « collectivités locales » privilégient l’isolement (dé)responsabilisant de la maison individuelle et favorisent ainsi, comme perspective répressive, la honte d’être indigne des conditions de vie permises par les biens concédés.
La fable sociale, par souci de maintien, agite le vieil épouvantail de l’intranquillité sociale, évoquant son souvenir et ses dites résurgences, et déplace celui-ci vers un masque de discours portant sur la gestion de la subjectivité et de son environnement direct.
De son côté le territoire, par nature incapable de crédulité, continue d’évoluer sans que ce type d’initiative ne puisse totalement l’entraver. ”

Et déjà nos pensées s’achevaient sur une touche d’opacité, ne parvenant pas toujours, empressés par la réaction, à distinguer idées et énoncés.

Nous participions déjà à la grande œuvre cartographique des discours « à propos » (et nous continuons avec le présent blog). Il s’est agi dès lors pour nous de distinguer carte, territoire, niveaux intermédiaires et relations entre ceux-ci, d’éviter de les assimiler, refusant ainsi d’accepter que les régimes de présence soient considérés symptômes d’identités, de formes de vie déjà réparties dans des catégories sociologiques selon leurs raisons administratives et mercantiles. Cette adversité nous aura engagés dans la glissière d’un conditionnement salutaire, nous disposant à l’humilité dans la rencontre, sans pourtant nous retirer la possibilité de reconnaître l’efficience des proses médiatisées par certains de ceux qui assument les rôles de journalistes, éducs, officiels, commerçants ou musiciens.

Les quelques échos que nous avions eu des personnes concernées de près ou de loin par la zone géographique « Naillac », et par les circulations affectives et pratiques qui y ont cours, se divisaient clairement en deux catégories : ceux qui résonnaient comme un advienne que pourra, marquant moins un caractère résigné que confiant quant à la vivacité spontanée des habitants, et ceux qui rapportaient un dit manque de répondant face aux propositions d’aides « concertées » d’experts du quotidien. Ces derniers ne lésinent pas en rêveries au sujet d’un biopouvoir efficace et exposent une pensée étrange qui voudrait que les « échecs » conséquents aux projets d’initiative publique ne puissent qu’être corrigés par de nouveaux, « plus experts », « actuels » ou « informés » – nous laisserons ici l’ambiguité quant à savoir si ces adjectifs se rapportent à « échecs » ou à « projets ». Fabien Ruet (adjoint au maire de Bergerac) déploie ainsi des grilles d’analyse qui le conduisent à penser que le quartier a été jusqu’à présent uniforme, inerte, mortifère, stérile, ennuyeux, invitant à la débauche et intranquille2, et envisage que la restructuration de ce dernier permettrait de guérir ces maux.
Au vu de l’état de sa composition autant que de celui de ses fluctuations affectives, nous demandons la restructuration de Fabien Ruet.



Que la carte ne soit pas identique au territoire (terme que nous utilisons ici dans son acception heureusement vague d’ “ étendue de la surface terrestre sur laquelle vit un groupe humain ”, cf. Robert) est une évidence, ce qu’il faut ajouter c’est qu’ils sont moins les éléments d’une dualité que ceux d’une suite procédant par emboîtement. Nous envisageons les cartes que constituent « les discours à propos » comme parties du territoire, elles y ont lieu et c’est en cette qualité qu’elles peuvent y conduire des modifications. Autrement dit : à nos yeux, c’est la composition du plan de la représentation et de la signifiance avec d’autres plans, qu’on pourrait désigner par exemple comme mécaniques, ou sensitifs, qui forment cette étendue qu’on appelle territoire. Tour à tour les différents plans du territoire cohabitent ou s’influencent pour former cette étendue là, dans laquelle nous nous situons. Pas de dualité entre homme et monde, seulement des régimes de circulation et des logiques de suite, mobilisant affects, représentations, corps (au sens le plus large), relations, etc. – et nous imaginons que la définition du Robert sous-entend «  étendue de la surface du globe composée, entre autres, de groupes humains ».

Nous reconnaissons ainsi que jouer à identifier, sur le plan du discours, des représentations avec d’hypothétiques référents, à faire comme si elles rendaient des aspects extra-langagiers du territoire (et qui plus est, à faire comme si elles englobaient touts les articulations de ces derniers), est une technique rhétorique efficace pour agir sur d’autres plans du territoire. Un exemple simple est celui des discours autour de l’accession à l’emploi qui a pour effet garanti, non pas de mettre chacun au boulot, mais d’affirmer la nécessité du travail salarié et le risque mortifère du désoeuvrement et d’engager ainsi, par endroits, une modification des économies affectives, supposant l’angoisse d’être velléitaire, chômeur, branleur, fumiste, etc.
Les restructurations commanditées par les appareils d’état prennent sens en tant qu’elles réagencent ou réaffirment des grilles d’analyse utiles aux logiques de marché en cours. Rares sont les maires et les bailleurs sociaux qui, en leurs fonctions, vantent l’émeute, qui pourtant a un très bel effet cathartique, génère de l’emploi et fait circuler la monnaie (vitriers, btp, policiers, garagistes, audio-visuel, assurances...) ; cela gênerait d’autres régulations économiques plus conformes aux jeux actuels entre offre et demande, telles que la cellule familiale : qui reste à l’intérieur.

Depuis cette petite mise au point, il va nous être possible d’en revenir au territoire circonscrit du « bergeracois ». Les décisions que nous prenions fin 2011, les quelques années de vie les précédant et nos réactions à chaud face aux initiatives des administrations publiques locales et nationales, nous conduisirent, donc, à nous montrer prudents devant certaines associations verbales, du type : cité-ghetto-délinquance, et de ce qui se joue à travers elles.
Pour relier le petit centre-ville commerçant et touristique au quartier ZUS Naillac, neuf minutes de marche à pied dans une suite de confortables rues sont nécessaires (le temps de fumer une roulée). Pas de barrière donc entre centre et banlieue, pas de gated-community, pas de cailloux lancés à l’arrivée d’étrangers, ni de la part des habitants de Naillac, ni de la part des commerçants du centre (à condition de ne pas se rendre pieds nus chez certains de ces derniers), mais des bars, des bancs, des trottoirs… Pour ceux qui envisagent qu’à Naillac un problème social ou humain se pose, rien n’entrave leurs allers et venues. Pourvu qu’ils soient consacrées à autre chose que seulement « chercher la boulette », par exemple, à s’essayer à la sus-dite « rencontre défaite de rapports présupposés » (au risque d’avoir à persévérer), ce qui était appelé « problème » pourrait disparaître en faveur d’un peu de passion et de joies. La curiosité et la souplesse agirait donc comme « solutions » ? Cela va de soi, direz-vous… et pourtant, l’idée de prise en charge continue de devancer dans bien des esprits celle de réunir les conditions pour que des rencontres puissent avoir lieu3.

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1        Contrat Urbain de Cohésion Sociale, qui concerne les quartiers choisis par quelques uns pour être affublés de la qualification de « quartier en difficulté ».

2       “ C'est un défi passionnant. Nous proposons une extension du centre-ville par un travail de greffe urbaine entre la Madeleine et les quartiers résidentiels au sud. Les urbanistes parlent de « diversification fonctionnelle ». Derrière cette expression technocratique, il faut y voir un quartier qui, par la diversité de ses activités, « bougera » du matin au soir, d'un quartier où on pourra vivre, élever ses enfants, se distraire, travailler mais également vieillir. C'est enfin une source de travail importante pour nos entreprises locales qui souffrent de la crise. ”

3       François Fourquet, dans L’accumulation du pouvoir ou le désir d’état - Recherches n°46, nous propose quelques pistes quant à la généalogie et la circulation des habitus des gestionnaires (liés directement ou indirectement à l’état): 
“ Le but affiché des équipements collectifs – nous pouvons dire maintenant des services collectifs – est, outre leur utilité spécifique (soin, éducation, etc.), de favoriser l’égalisation des citoyens ; le service collectif apparaît ici dans sa dimention de service public : l’accès égalitaire aux bienfaits du service public est une conséquence de l’égalité de tous devant la loi. Bien entendu cela ne se passe jamais ainsi et les rapports réels des forces sociales se reproduisent aisément au sein de la santé, de l’instruction, etc. La critique de gauche a beau jeu de dénoncer les inégalités réelles en constatant que les besoins des masses sont plus mal satisfaits que les besoins bourgeois.
Là n’est point le problême. Aux origines de l'hygiène sociale, telle que nous la voyons s'ébaucher au siècle dernier sous l'autorité patronale, nous ne discernons pas le mot d'ordre : « la santé pour tous », mais nous voyons se créer une stratégie d'hygiénisation et d'amélioration d'une population ouvrière adjacente aux monuments de la nouvelle industrie capitaliste. L'hygiène publique d'après 1918, fortement marquée par le déficit démographique, hérite de cette exigence populationniste : le problème n'est pas de distribuer égalitairement un soin mais d'hygiéniser et d'enforcer biologiquement un peuple appelé à produire et à guerroyer. ”












 

“ La Grande Mauve pousse assez facilement sur les terrains vagues, les friches, les remblais et les bords de route. Elle est aussi appelée mauve sylvestre, mauve des bois, mauve des villes, fausse guimauve. C'est une plante vivace aux tiges souvent étalées pouvant atteindre 60cm de hauteur. Elle est autogame et entomogame, c'est-à-dire qu'elle se pollinise seule et à l'aide d'insectes. La floraison s'effectue de juin à septembre. Le fruit est une capsule qui tombe au sol à maturité, le mode de dissémination étant pour cela qualifié de barachore, ce qui signifie qu'elle se fait par gravité. Les feuilles sont bonnes en salade et les jeunes pousses peuvent être préparées comme des épinards. En Algérie, dans la région d'Oran plus particulièrement, et au Maroc, la mauve est un produit courant sur les marchés, connu sous le nom de kobhiza. ”

Grande zonarde donc cette belle mauve des friches qui pousse là, dans les espaces vierges jouxtant les barres de Naillac ; douce invite à rejoindre ces terres, vagues s’il en est, sur lesquelles musarder semble la pratique la plus adaptée.
À l’instar de cette plante, l’acronyme apposé sur les cartes administratives, rattaché au petit territoire que nous nous apprêtions à fréquenter, nous laisse entendre qu’il est convenu d’y zoner. ZUS dit-on, ce qui cache les termes : zone urbaine sensible.

L’approche zonarde de ce sigle, que nous nommerons « le point de vue de la grande mauve », le traduirait ainsi : milieu où prendre le temps, laisser courir, sans réserve et sans mission, milieu si animé qu’il semble lui-même doté d’une chaleureuse urbanité (consciencieuse, hospitalière) et qui déborde de spontanéité, d’attention, d’émotion et d’emportement. Nous avérons que le point de vue de la grande mauve est particulièrement adéquat au territoire dit Naillac et conséquemment nous acceptons sans ambages la qualification ZUS.

Pendant que le vacuum technique et technocratique conduisait l'ainsi dite « greffe urbaine » du quartier ZUS sur la Madeleine, des gamins (catégorie zonarde s'il en est) construisaient une cabane avec les barrières jalonnant le chantier concerné, des grands-mères transformaient feuilles invasives des friches en denrée alimentaire et des voitures dérapaient sur la piste d’athlétisme. Tout cela semblait affirmer que faire quelque chose avec ce qu’il y a là est amplement suffisant pour l'amusement, le travail des habitus.
Nous nous glissions dans ce même sillon et très vite des bâtons se faisaient mailloches, des fleurs d'acacia se couvraient de pâte à beignets1 et de fait, que l'argent de la mairie destiné à la culture se change en nourriture gratuite semblait en parfaite adéquation avec les lieux. Le jeu des transformations des relations entre signifiants et signifiés s’étendait à notre présence. On nous rappelait au détour d'un « Ohé ! Cromagnons ! » que cette ligne de conduite défie les époques ; transformisme permanent.
Sur les terrains vagues, déplacer les barrières avec l’intention d’en faire une baraque avait pour conséquence de décloisonner, sans faire exprès. Il y allait là comme d’une métaphore du credo local : prendre soin de faire quelque chose avec tout ce qui tombe là, entre les mains et embraser ainsi les vues sur tout ce qui fait l'environnant.

Entourés d’une barre HLM en cours de démolition, d’une école de musique qui nous tournait le dos et d’un centre social dont l’horaire de fermeture coïncidait à peu près avec celui de nos venues, nous nous posions chaque soir avec repas et instruments de musique, tout frais dispos.
Pour ceux qui fréquentaient ces lieux, dont nous étions désormais, cet attirail ne tarda pas à faire partie lui aussi de l'environnant, c’est-à-dire à pouvoir être détourné et à l’être effectivement. Conjointement, un certain plaisir à semer la confusion, quant à la distribution des rôles et des « responsabilités », s’installait. Nous ne pouvions plus très bien désigner qui faisait quoi et quoi appartenait à qui et nous papillonnions ainsi sans broncher parmi les déploiements effectifs des actions et des désirs2. Le « nous » qui venait là à se constituer se modulait chaque jour passant : ses dimensions variaient, ses contours se dessinaient et se relâchaient sans jamais prévenir jusqu’à parfois se diffracter. Accommodante meute erratique…




Rapidement nous constations la facilité avec laquelle les habitudes langagières, comportementales, relationnelles, etc., s'altéraient, immergeant qui voulait bien dans une joie sans cesse réactualisable.  Se distinguait là quelque chose que nous appelons aujourd'hui marrade : ce moment lors duquel détourner consiste à ajuster en temps réel la situation aux désirs ; mouvement d'un travail, d'une expérience et d'un apprentissage. Versatiles et autres amoureux de la dérive n'ont trêve d'utiliser cette méthode.
Qu'on ne nous dise pas, concernant les gamins, très présents au sein de cette petite meute en continuelle formation, que l'apprentissage doit être nécessairement conditionné par une congruence géo-localisable des savoirs et par les seules perspectives de reconnaissance que représenteraient diplômes, qualifications assermentées et situation sociale : une expérience collective de la dérade permet tout aussi bien de s’instruire. L'approche générée par la marrade se distingue de celle du pur pédagogue (elle ne se prête pas au fait de juger de l’inclination au bon ou au mauvais esprit des uns et des autres), et c’est sans surprise que, par le passage de l’une à l’autre, certains se révèlent sous un autre jour.





La convivialité était notre point de départ (dans la présentation d'un projet adressé à une institution publique). Elle fut notre point d’appui pour passer de l'écrit à une situation donnée, tangible, peuplée ; cela nous conduisit à trahir, en quelque sorte, une part du projet officiel.
Le principal point qui a nécessité quelque abandon vis-à-vis de nos énoncés de départ concerne la question de la représentation. Pour des raisons de confort, suite à diverses tentatives sur place, nous avons préféré éviter d’insister sur la perspective d'un espace invariant scène/sono. Chaque soir, c’était en des dispositions neuves que le terrain venait à se peupler. Le binôme scène/sono, en tant que condition de représentation pour instituer la fête, nous le remplacions par le performatif à l'intérieur du convivial. Autrement dit, nous préférions considérer le fait de produire à dessein des sons comme dynamique collective plutôt que comme source de festivités. Nous ne disons pas qu'il y fût fait table rase des codes de la représentation (du concert ou du spectacle de danse) ; bien au contraire, ils étaient réinvestis. C'est la relation à ces codes qui était en jeu, et non la démonstration elle-même. Le peuplement que chaque soir nous formions ne permettait pas de les prendre trop au sérieux ; un certain désordre nous offrait, clefs en mains, les moyens de les taquiner.





Nous ne nous ferons pas plus longtemps les rapporteurs des moments de rencontre que nous avons vécu à Naillac - aucune étude n’y a été menée (et si tel était le cas, il y aurait de toute façon trop à démêler pour comprendre qui la menait et qui en était l’objet). Deux semaines sont trop courtes pour perdre son statut d’étranger… Plutôt, nous nous baserons sur ces moments pour travailler d'autres questions que celle posée par le récit d'évènement et continuer de soliloquer, de participer à l’accumulation de paroles pêle-mêle à laquelle s’applique l’espèce. Les considérations sur la musique auxquelles le temps de ces quinze soirées nous conduisirent vont, dès à présent, être l’objet d’une suite pour ce texte…





Lorsque plusieurs gamins prirent des instruments percussifs, ils avaient pour référents communs des rythmes « stylisés » à telle ou telle sauce. La cacophonie n’était pas pensée comme cacophonie, et encore moins comme style : nous prenions appui sur des référents stylistiques qui avaient fermentés pour chacun d’entre nous depuis des années à la proximité de multiples sons. Si l’un chantait une chanson pop, les autres la connaissaient et l’avaient aussi comme référent stylistique. La cacophonie nous apparût ainsi dans le rapport que chacun, seul ou en groupes réduits entretenait avec un ensemble de référents stylistiques. Nous assistions, dans ces cacophonies naillacoises, à une inversion de cette logique du style pensé qui va vers la production sonore puis qui vient se loger dans l’oreille en étant identifié comme style musical (cette cacophonie pensée comme style, c’est Dubuffet, les bruitistes ou les plus sympathiques des dumistes… Et là, en terme de réception, cet ensemble de sons que l’on entend pour lui-même, on le perçoit aussi comme « style musical », on le comprend et l’accepte aussi parce qu’il est un « style »). Nous nous sommes dit qu’il y avait là une réversibilité de la logique du style musical.





Nous pourrions prétendre de la sorte gloser sur la multiplicité des interactions sonores, sur les attractions réciproques qu’exercent différents modes de jeu instrumental parallèles ou sur les principes d'imitation assez spontanément opérés. Seulement, pour se combiner en situation de groupe il y a moins de systèmes appliquables que des axes d'effectuation, dont les linéaments restent flous, indéterminés, ce qui implique qu'ils soient singularisés en chaque occasion. Il en est ainsi pour les chansons à boire, le eefing, les éléments musicaux d'une procession religieuse, les conciliabules rythmés de femmes de marins au Cap-Vert, les polyphonies villageoise ukrainienne, « happy birthday » ou d’autres chansons de circonstances, etc.



C'est en appréciant la musique advenue comme modalité du comment se combiner que nous laissons là ce qui a trait à l'effectuation et que nous nous penchons maintenant sur ce qu'il en reste, par extraction : captations sonores et vidéos. Autrement dit, considérons les qualités de ce qui se rapporte à nos oreilles aujourd'hui.
Pour cela, nous introduisons le terme de tonicité, non pour écarter les terminologies musicologiques, mais par souci d'en développer une qui soit mieux adaptée aux captations sonores que nous avons faîtes à Naillac. Le Robert définit la tonicité comme le “ caractère de ce qui est tonique, stimulant ”. Nous trouvons cette définition un peu plate… Nous aimons mieux entendre, par le terme de tonicité, la dynamique et l'énergie dans la formation d'un ensemble sonore, c'est-à-dire que les sons eux-mêmes et entre eux se disposent de telle manière qu'ils nécessitent une dynamique et une énergie similaires de la part de l'auditeur - la manière n'est pas tonale mais tonique et ce n'est pas seulement d'un jeu de mots ici dont nous jasons : le son et l'agencement des sons en tant que bruit et/ou fréquence et amoncellement sonore laissent place à la tonitruance de l'ensemble que constitue l'enregistrement. Les bruits du gong, des appeaux et des bagnoles sont gueulants, mais pour qui laissera traîner ses oreilles sur ce blog, ces éléments ne sauraient êtres les traces de l'énergie frappante déployée dans cette modalité du festin nu que fût la pratique musicale, sinon dans leur propension à faire entendre la manière que les différentes strates sonores ont d'interagir : l'effet que produit l'un des éléments sur un autre, leurs interférences sémantiques, leur efficience à être interprétés comme localité, etc.




Petits théoristes et pragmatistes dont nous sommes… Arrêtons là notre glose, pour revenir à la question qu'un architecte bergeracois nous a posé après la lecture de nos considérations sur le bâti, « alors que faire ? », à laquelle nous continuerons d'esquisser des éléments de réponse à travers la petite conclusion que voici :

“ « À présent à Naillac… », « Ce que ce séjour a eu de bouleversant… », « Quant à Fabien Ruet… », « La suite que nous pouvons envisager… », « C’est dans cet entre-deux, entre démolition et reconstruction, que… », « Quitter Naillac fut… », « L’école de musique ne s’étant toujours pas retournée vers nous… »,  ont été autant de débuts et perspectives de conclusions évincés. C’est que nous préférons laisser toute sortie ramenant au territoire criconscrit nommé Naillac à qui déciderait de se sacrifier à l’horizontalité du sol plutôt qu’à la verticalité des frontières figurées, de s’adonner au vague(s) du commun et du collectif et d’accompagner grandes mauves et ciboules dans leur vacance immodérée. Bien que nous pourrions rêver d’un monde où les maires et leurs adjoints cueilleraient des cerises sur des terrains vagues peuplés d’enfants, ce sont les initiatives individuelles, la capacité d’organisation collective, mais surtout la permanence de certains régimes de présence et d’effectuation (marrade, prosaïsme, convivialité, goguenardise, détournement, jovialité, antagonisme gracieux…) qui nous importent le plus…
Certes elle est un peu paumée et il arrive par moments à certains de dire et de faire n’importe quoi, mais il paraît évident que toute l’espèce humaine est déjà communiste et anarchiste. ”

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1    “ Ah! Les beignets de fleurs d’acacia.
Pour 4 personnes
250 g. de farine
3 oeufs
30 cl de lait
20 cl de bière blonde
1 c. à café d'huile de tournesol
sucre en poudre
1 pincée de sel fin
1 vingtaine de grappes de fleurs d'acacia qu'il ne faut surtout pas laver
de l'huile pour la friture

Mélanger la farine avec le sel, les oeufs, le lait, la bière et l'huile afin d'obtenir une pâte bien fluide. Laisser reposer une heure ou deux.
Faire chauffer l'huile de friture et préparer, à proximité, un plat recouvert de papier absorbant et le sucre en poudre.
Dès que l'huile semble à bonne température, prendre une grappe de fleur d'acacia, par la tige. La tremper délicatement dans la pâte et la déposer dans l'huile bouillante. Surveiller la cuisson car le beignet va cuire très vite. A l'aide d'une spatule en bois, le retourner une fois puis le sortir de la friture et le déposer dans le plat. Saupoudrer de sucre. ”

Jeanne Delage, Cuisine traditionnelle du Périgord

2    Contre-pied : non sans rire, nous ne résistons pas à vous citer cet extrait du discours que Michel Boscher (entre autre, député maire d'Evry de 1947 à 1977) prononça lors de l'inauguration en 1975 de l’agora d’Evry (entre autre, centre commercial et culturel): “ Nul ne pourra s'approprier ces lieux publics pour en faire sa chose. Tout au contraire, le public très divers qui s'y pressera, je l'espère, devra pouvoir se reconnaître dans sa propre diversité à travers les spectacles qui y seront donnés... ” (cité par Rémy Butler et Patrice Noisette dans De la cité ouvrière au grand ensemble, p.168)














Voilà, merci.