Il y a six mois environ, le bureau de
l’association Procréadif nous exposait suite à l’appel d’offre du CUCS1
l’étrange proposition d’engager une intervention artistique dans une des cités
de Bergerac. Nous hésitions au départ, circonspects. Qui peut avoir besoin d’ «
actions concertées pour améliorer la vie quotidienne » ? Comment l’intervention
de professionnels, sans l’exercice de l’amitié ou la rencontre défaite de
rapports présupposés, pourrait modifier une vie, sinon par la privation, la
guerre, la répression ? Devant l’apparition de ces questions, nous avons jugé
préférable de laisser les instances concernées à leur pittoresque et monotone
soliloque, et d’examiner la possibilité d’user d’une somme d’argent conséquente
à destination de zones géographiquement définies. Amener la possibilité d’une
fête désintéressée – sans chercher à la prévoir ni à communiquer à son propos –
nous parut l’usage le plus satisfaisant. Notre réponse fut rédigée en
conséquence, tandis que quelques repérages à Bergerac nous conduisaient à
envisager de nous installer dans un des espaces résiduels du quartier de
Naillac. Plus précisément, autour et sur le cadavre, constitué de gravas
concassés, d’une des trois barres HLM qui formaient le cœur de ce quartier,
dont une seulement reste actuellement debout et occupée.
Nous nous apprêtions donc à nous
établir comme présence proche et étrangère dans un quartier en plein
réaménagement, où l’on déplace les foyers de barres HLM en barres HLM ou de
barres HLM en maisons individuelles (dans des lotissements voisins, répondant
aux noms mignonnets de Tounet, Petit Clairat...).
En attendant le premier jour, nous
soliloquions à notre tour au cours de successives discussions que nous
pourrions résumer ainsi :
“ La période, qui a débuté depuis que
la croûte terrestre fut acculée aux qualifications de privé et public, veut que
les instances de pouvoir désignées gèrent non plus seulement le partage du
territoire mais aussi la disposition du bâti. Et pour légitimer leur démarche,
nous les voyons se munir de tout l’attirail idéologique de la domination
marchande : confort, esthétismes et sécurité. Les grilles d’analyse ici agitées
semblent moins servir la réalisation de la fable que sous-entend ce credo que
chercher à imposer, comme on imposerait un changement de devise monétaire, le
change de la convivialité contre la satisfaction d’être « intégré »,
établissant ainsi une équivalence de principe entre surveillance policière et
menace de la dissolution du foyer. C’est qu’une certaine législation voudrait
que ceux qui s’organisent et expérimentent, entre autre, l’hospitalité sans
concession soient obligés de se mesurer à la répression policière et judiciaire
tandis que ceux qui gagnent leur vie et réussissent doivent se montrer aussi
méritants et dignes qu’un chien de cirque se montre agile dans la réitération
de son numéro. Cette dualité – bien que navrante composante du discours qui
voudrait asseoir comme réalité territoriale la fable sociale (essayant de nous
convaincre qu’une carte est le territoire) – trouve son fondement en un fait
simple : le milieu matériel et territorial, dont le bâti est une constituante,
est déterminant quant aux potentialités relationnelles de chaque être. Fiers de
cet enseignement et véhicules du discours à la mode sur l’identité de la carte
et du territoire, nombre d’architectes et de « collectivités locales »
privilégient l’isolement (dé)responsabilisant de la maison individuelle et
favorisent ainsi, comme perspective répressive, la honte d’être indigne des
conditions de vie permises par les biens concédés.
La fable sociale, par souci de
maintien, agite le vieil épouvantail de l’intranquillité sociale, évoquant son
souvenir et ses dites résurgences, et déplace celui-ci vers un masque de
discours portant sur la gestion de la subjectivité et de son environnement
direct.
De son côté le territoire, par nature
incapable de crédulité, continue d’évoluer sans que ce type d’initiative ne
puisse totalement l’entraver. ”
Et déjà nos pensées s’achevaient sur
une touche d’opacité, ne parvenant pas toujours, empressés par la réaction, à
distinguer idées et énoncés.
Nous participions déjà à la grande
œuvre cartographique des discours « à propos » (et nous continuons avec le
présent blog). Il s’est agi dès lors pour nous de distinguer carte, territoire,
niveaux intermédiaires et relations entre ceux-ci, d’éviter de les assimiler,
refusant ainsi d’accepter que les régimes de présence soient considérés
symptômes d’identités, de formes de vie déjà réparties dans des catégories
sociologiques selon leurs raisons administratives et mercantiles. Cette
adversité nous aura engagés dans la glissière d’un conditionnement salutaire,
nous disposant à l’humilité dans la rencontre, sans pourtant nous retirer la
possibilité de reconnaître l’efficience des proses médiatisées par certains de
ceux qui assument les rôles de journalistes, éducs, officiels, commerçants ou
musiciens.
Les quelques échos que nous avions eu
des personnes concernées de près ou de loin par la zone géographique « Naillac
», et par les circulations affectives et pratiques qui y ont cours, se
divisaient clairement en deux catégories : ceux qui résonnaient comme un
advienne que pourra, marquant moins un caractère résigné que confiant quant à
la vivacité spontanée des habitants, et ceux qui rapportaient un dit manque de
répondant face aux propositions d’aides « concertées » d’experts du quotidien.
Ces derniers ne lésinent pas en rêveries au sujet d’un biopouvoir efficace et
exposent une pensée étrange qui voudrait que les « échecs » conséquents aux
projets d’initiative publique ne puissent qu’être corrigés par de nouveaux, «
plus experts », « actuels » ou « informés » – nous laisserons ici l’ambiguité
quant à savoir si ces adjectifs se rapportent à « échecs » ou à « projets ».
Fabien Ruet (adjoint au maire de Bergerac) déploie ainsi des grilles d’analyse
qui le conduisent à penser que le quartier a été jusqu’à présent uniforme,
inerte, mortifère, stérile, ennuyeux, invitant à la débauche et intranquille2,
et envisage que la restructuration de ce dernier permettrait de guérir ces
maux.
Au vu de l’état de sa composition
autant que de celui de ses fluctuations affectives, nous demandons la
restructuration de Fabien Ruet.
Que la carte ne soit pas identique au
territoire (terme que nous utilisons ici dans son acception heureusement vague
d’ “ étendue de la surface terrestre sur laquelle vit un groupe humain ”, cf.
Robert) est une évidence, ce qu’il faut ajouter c’est qu’ils sont moins les
éléments d’une dualité que ceux d’une suite procédant par emboîtement. Nous
envisageons les cartes que constituent « les discours à propos »
comme parties du territoire, elles y ont lieu et c’est en cette qualité
qu’elles peuvent y conduire des modifications. Autrement dit : à nos yeux,
c’est la composition du plan de la représentation et de la signifiance avec
d’autres plans, qu’on pourrait désigner par exemple comme mécaniques, ou
sensitifs, qui forment cette étendue qu’on appelle territoire. Tour à tour les
différents plans du territoire cohabitent ou s’influencent pour former cette
étendue là, dans laquelle nous nous situons. Pas de dualité entre homme et
monde, seulement des régimes de circulation et des logiques de suite,
mobilisant affects, représentations, corps (au sens le plus large), relations,
etc. – et nous imaginons que la définition du Robert sous-entend «
étendue de la surface du globe composée, entre autres, de groupes
humains ».
Nous reconnaissons ainsi que jouer à
identifier, sur le plan du discours, des représentations avec d’hypothétiques
référents, à faire comme si elles rendaient des aspects extra-langagiers du
territoire (et qui plus est, à faire comme si elles englobaient touts les
articulations de ces derniers), est une technique rhétorique efficace pour agir
sur d’autres plans du territoire. Un exemple simple est celui des discours
autour de l’accession à l’emploi qui a pour effet garanti, non pas de mettre
chacun au boulot, mais d’affirmer la nécessité du travail salarié et le risque
mortifère du désoeuvrement et d’engager ainsi, par endroits, une
modification des économies affectives, supposant l’angoisse d’être velléitaire,
chômeur, branleur, fumiste, etc.
Les restructurations
commanditées par les appareils d’état prennent sens en tant qu’elles réagencent
ou réaffirment des grilles d’analyse utiles aux logiques de marché en cours.
Rares sont les maires et les bailleurs sociaux qui, en leurs fonctions, vantent
l’émeute, qui pourtant a un très bel effet cathartique, génère de l’emploi et
fait circuler la monnaie (vitriers, btp, policiers, garagistes, audio-visuel,
assurances...) ; cela gênerait d’autres régulations économiques plus
conformes aux jeux actuels entre offre et demande, telles que la cellule
familiale : qui reste à l’intérieur.
Depuis cette petite mise
au point, il va nous être possible d’en revenir au territoire circonscrit du
« bergeracois ». Les décisions que nous prenions fin 2011, les
quelques années de vie les précédant et nos réactions à chaud face aux
initiatives des administrations publiques locales et nationales, nous conduisirent,
donc, à nous montrer prudents devant certaines associations verbales, du
type : cité-ghetto-délinquance, et de ce qui se joue à travers elles.
Pour relier le petit
centre-ville commerçant et touristique au quartier ZUS Naillac, neuf minutes de
marche à pied dans une suite de confortables rues sont nécessaires
(le temps de fumer une roulée). Pas de barrière donc entre centre et banlieue,
pas de gated-community, pas de cailloux lancés à l’arrivée d’étrangers, ni de
la part des habitants de Naillac, ni de la part des commerçants du centre (à
condition de ne pas se rendre pieds nus chez certains de ces derniers), mais
des bars, des bancs, des trottoirs… Pour ceux qui envisagent qu’à Naillac un
problème social ou humain se pose, rien n’entrave leurs allers et venues.
Pourvu qu’ils soient consacrées à autre chose que seulement « chercher la
boulette », par exemple, à s’essayer à la sus-dite « rencontre
défaite de rapports présupposés » (au risque d’avoir à persévérer), ce qui
était appelé « problème » pourrait disparaître en faveur d’un peu de
passion et de joies. La curiosité et la souplesse agirait donc comme
« solutions » ? Cela va de soi, direz-vous… et pourtant, l’idée
de prise en charge continue de devancer dans bien des esprits celle de réunir
les conditions pour que des rencontres puissent avoir lieu3.
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1 Contrat Urbain de Cohésion
Sociale, qui concerne les quartiers choisis par quelques uns pour être affublés
de la qualification de « quartier en difficulté ».
2 “ C'est un défi passionnant.
Nous proposons une extension du centre-ville par un travail de greffe urbaine
entre la Madeleine et les quartiers résidentiels au sud. Les urbanistes parlent
de « diversification fonctionnelle ». Derrière cette expression technocratique,
il faut y voir un quartier qui, par la diversité de ses activités, « bougera »
du matin au soir, d'un quartier où on pourra vivre, élever ses enfants, se
distraire, travailler mais également vieillir. C'est enfin une source de
travail importante pour nos entreprises locales qui souffrent de la crise. ”
3 François
Fourquet, dans L’accumulation du pouvoir ou le désir d’état - Recherches
n°46, nous
propose quelques pistes quant à la généalogie et la circulation des habitus des
gestionnaires (liés directement ou indirectement à l’état):
“ Le but affiché des
équipements collectifs – nous pouvons dire maintenant des services collectifs –
est, outre leur utilité spécifique (soin, éducation, etc.), de favoriser
l’égalisation des citoyens ; le service collectif apparaît ici dans sa
dimention de service public : l’accès égalitaire aux bienfaits du service
public est une conséquence de l’égalité de tous devant la loi. Bien entendu cela
ne se passe jamais ainsi et les rapports réels des forces sociales se
reproduisent aisément au sein de la santé, de l’instruction, etc. La critique
de gauche a beau jeu de dénoncer les inégalités réelles en constatant que les
besoins des masses sont plus mal satisfaits que les besoins bourgeois.
Là n’est point le problême.
Aux origines de l'hygiène sociale, telle que nous la voyons s'ébaucher au
siècle dernier sous l'autorité patronale, nous ne discernons pas le mot d'ordre
: « la santé pour tous », mais nous voyons se créer une stratégie
d'hygiénisation et d'amélioration d'une population ouvrière adjacente aux
monuments de la nouvelle industrie capitaliste. L'hygiène publique d'après
1918, fortement marquée par le déficit démographique, hérite de cette exigence
populationniste : le problème n'est pas de distribuer égalitairement un soin
mais d'hygiéniser et d'enforcer biologiquement un peuple appelé à produire et à
guerroyer. ”
▅▅▅
“ La
Grande Mauve pousse assez facilement sur les terrains vagues, les friches, les
remblais et les bords de route. Elle est aussi appelée mauve sylvestre, mauve
des bois, mauve des villes, fausse guimauve. C'est une plante vivace aux tiges souvent étalées pouvant atteindre
60cm de hauteur. Elle est autogame et entomogame, c'est-à-dire qu'elle se
pollinise seule et à l'aide d'insectes. La floraison s'effectue de juin à
septembre. Le fruit est une capsule qui tombe au sol à maturité, le mode de
dissémination étant pour cela qualifié de barachore, ce qui signifie qu'elle se
fait par gravité. Les feuilles sont bonnes en salade et les jeunes pousses
peuvent être préparées comme des épinards. En Algérie, dans la région d'Oran
plus particulièrement, et au Maroc, la mauve est un produit courant sur les
marchés, connu sous le nom de kobhiza. ”
Grande zonarde donc cette
belle mauve des friches qui pousse là, dans les espaces vierges jouxtant les
barres de Naillac ; douce invite à rejoindre ces terres, vagues s’il en est,
sur lesquelles musarder semble la pratique la plus adaptée.
À l’instar de cette plante, l’acronyme apposé sur les cartes administratives, rattaché au petit territoire que nous nous apprêtions à fréquenter, nous laisse entendre qu’il est convenu d’y zoner. ZUS dit-on, ce qui cache les termes : zone urbaine sensible.
À l’instar de cette plante, l’acronyme apposé sur les cartes administratives, rattaché au petit territoire que nous nous apprêtions à fréquenter, nous laisse entendre qu’il est convenu d’y zoner. ZUS dit-on, ce qui cache les termes : zone urbaine sensible.
L’approche zonarde de ce
sigle, que nous nommerons « le point de vue de la grande mauve », le traduirait
ainsi : milieu où prendre le temps, laisser courir, sans réserve et sans
mission, milieu si animé qu’il semble lui-même doté d’une chaleureuse urbanité
(consciencieuse, hospitalière) et qui déborde de spontanéité, d’attention,
d’émotion et d’emportement. Nous avérons que le point de vue de la grande
mauve est particulièrement adéquat au territoire dit Naillac et conséquemment nous acceptons sans ambages la qualification
ZUS.
Pendant que le vacuum
technique et technocratique conduisait l'ainsi dite « greffe urbaine » du
quartier ZUS sur la Madeleine, des gamins (catégorie zonarde s'il en est)
construisaient une cabane avec les barrières jalonnant le chantier concerné,
des grands-mères transformaient feuilles invasives des friches en denrée
alimentaire et des voitures dérapaient sur la piste d’athlétisme. Tout cela
semblait affirmer que faire quelque chose avec ce qu’il y a là est amplement
suffisant pour l'amusement, le travail des habitus.
Nous nous glissions dans
ce même sillon et très vite des bâtons se faisaient mailloches, des fleurs
d'acacia se couvraient de pâte à beignets1 et de fait, que l'argent
de la mairie destiné à la culture se change en nourriture gratuite semblait en
parfaite adéquation avec les lieux. Le jeu des transformations des relations
entre signifiants et signifiés s’étendait à notre présence. On nous rappelait
au détour d'un « Ohé ! Cromagnons ! » que cette ligne de conduite défie les
époques ; transformisme permanent.
Sur les terrains vagues,
déplacer les barrières avec l’intention d’en faire une baraque avait pour
conséquence de décloisonner, sans faire exprès. Il y allait là comme d’une
métaphore du credo local : prendre soin de faire quelque chose avec tout
ce qui tombe là, entre les mains et embraser ainsi les vues sur tout ce qui fait
l'environnant.
Entourés d’une barre HLM
en cours de démolition, d’une école de musique qui nous tournait le dos et d’un
centre social dont l’horaire de fermeture coïncidait à peu près avec celui de
nos venues, nous nous posions chaque soir avec repas et instruments de musique,
tout frais dispos.
Pour ceux qui
fréquentaient ces lieux, dont nous étions désormais, cet attirail ne tarda pas
à faire partie lui aussi de l'environnant, c’est-à-dire à pouvoir être détourné
et à l’être effectivement. Conjointement, un certain plaisir à semer la
confusion, quant à la distribution des rôles et des
« responsabilités », s’installait. Nous ne pouvions plus très bien
désigner qui faisait quoi et quoi appartenait à qui et nous papillonnions ainsi
sans broncher parmi les déploiements effectifs des actions et des désirs2.
Le « nous » qui venait là à se constituer se modulait chaque jour
passant : ses dimensions variaient, ses contours se dessinaient et se
relâchaient sans jamais prévenir jusqu’à parfois se diffracter. Accommodante
meute erratique…
Rapidement nous constations la
facilité avec laquelle les habitudes langagières, comportementales,
relationnelles, etc., s'altéraient, immergeant qui voulait bien dans une joie
sans cesse réactualisable. Se
distinguait là quelque chose que nous appelons aujourd'hui marrade : ce
moment lors duquel détourner consiste à ajuster en temps réel la situation aux
désirs ; mouvement d'un travail, d'une expérience et d'un apprentissage.
Versatiles et autres amoureux de la dérive n'ont trêve d'utiliser cette
méthode.
Qu'on ne nous dise pas, concernant
les gamins, très présents au sein de cette petite meute en continuelle
formation, que l'apprentissage doit être nécessairement conditionné par une
congruence géo-localisable des savoirs et par les seules perspectives de
reconnaissance que représenteraient diplômes, qualifications assermentées et
situation sociale : une expérience collective de la dérade permet tout aussi
bien de s’instruire. L'approche générée par la marrade se distingue de celle du
pur pédagogue (elle ne se prête pas au fait de juger de l’inclination au bon ou
au mauvais esprit des uns et des autres), et c’est sans surprise que, par le
passage de l’une à l’autre, certains se révèlent sous un autre jour.
La convivialité était
notre point de départ (dans la présentation d'un projet adressé à une
institution publique). Elle fut notre point d’appui pour passer de l'écrit à
une situation donnée, tangible, peuplée ; cela nous conduisit à trahir, en
quelque sorte, une part du projet officiel.
Le principal point qui a
nécessité quelque abandon vis-à-vis de nos énoncés de départ concerne la
question de la représentation. Pour des raisons de confort, suite à diverses
tentatives sur place, nous avons préféré éviter d’insister sur la perspective
d'un espace invariant scène/sono. Chaque soir, c’était en des dispositions
neuves que le terrain venait à se peupler. Le binôme scène/sono, en tant que
condition de représentation pour instituer la fête, nous le remplacions par le
performatif à l'intérieur du convivial. Autrement dit, nous préférions
considérer le fait de produire à dessein des sons comme dynamique collective
plutôt que comme source de festivités. Nous ne disons pas qu'il y fût fait
table rase des codes de la représentation (du concert ou du spectacle de danse)
; bien au contraire, ils étaient réinvestis. C'est la relation à ces codes qui était
en jeu, et non la démonstration elle-même. Le peuplement que chaque soir nous
formions ne permettait pas de les prendre trop au sérieux ; un certain désordre
nous offrait, clefs en mains, les moyens de les taquiner.
Nous ne nous ferons pas
plus longtemps les rapporteurs des moments de rencontre que nous avons vécu à
Naillac - aucune étude n’y a été menée (et si tel était le cas, il y aurait de
toute façon trop à démêler pour comprendre qui la menait et qui en était
l’objet). Deux semaines sont trop courtes pour perdre son statut d’étranger…
Plutôt, nous nous baserons sur ces moments pour travailler d'autres questions
que celle posée par le récit d'évènement et continuer de soliloquer, de
participer à l’accumulation de paroles pêle-mêle à laquelle s’applique
l’espèce. Les considérations sur la musique auxquelles le temps de ces quinze
soirées nous conduisirent vont, dès à présent, être l’objet d’une suite pour ce
texte…
Lorsque plusieurs gamins
prirent des instruments percussifs, ils avaient pour référents communs des
rythmes « stylisés » à telle ou telle sauce. La cacophonie n’était pas pensée
comme cacophonie, et encore moins comme style : nous prenions appui sur des
référents stylistiques qui avaient fermentés pour chacun d’entre
nous depuis des années à la proximité de multiples sons. Si l’un chantait une
chanson pop, les autres la connaissaient et l’avaient aussi comme référent
stylistique. La cacophonie nous apparût ainsi dans le rapport que chacun, seul
ou en groupes réduits entretenait avec un ensemble de référents stylistiques.
Nous assistions, dans ces cacophonies naillacoises, à une inversion de cette
logique du style pensé qui va vers la production sonore puis qui vient se loger
dans l’oreille en étant identifié comme style musical (cette cacophonie pensée
comme style, c’est Dubuffet, les bruitistes ou les plus sympathiques des
dumistes… Et là, en terme de réception, cet ensemble de sons que l’on entend
pour lui-même, on le perçoit aussi comme « style musical », on le
comprend et l’accepte aussi parce qu’il est un « style »). Nous nous
sommes dit qu’il y avait là une réversibilité de la logique du style musical.
Nous pourrions prétendre de la sorte gloser sur la
multiplicité des interactions sonores, sur les attractions réciproques
qu’exercent différents modes de jeu instrumental parallèles ou sur les
principes d'imitation assez spontanément opérés. Seulement, pour se combiner en
situation de groupe il y a moins de systèmes appliquables
que des axes d'effectuation, dont les linéaments restent flous, indéterminés,
ce qui implique qu'ils soient singularisés en chaque occasion. Il en est ainsi
pour les chansons à boire, le eefing, les éléments musicaux d'une procession
religieuse, les conciliabules rythmés de femmes de marins au Cap-Vert, les polyphonies villageoise ukrainienne,
« happy birthday » ou d’autres chansons de circonstances, etc.
C'est en appréciant la musique advenue
comme modalité du comment se combiner que nous laissons là ce qui a trait à
l'effectuation et que nous nous penchons maintenant sur ce qu'il en reste, par
extraction : captations sonores et vidéos. Autrement dit, considérons les
qualités de ce qui se rapporte à nos oreilles aujourd'hui.
Pour cela, nous
introduisons le terme de tonicité, non pour écarter les terminologies musicologiques,
mais par souci d'en développer une qui soit mieux adaptée aux captations
sonores que nous avons faîtes à Naillac. Le Robert définit la tonicité comme le “ caractère de ce qui est tonique, stimulant ”. Nous trouvons cette
définition un peu plate… Nous aimons mieux entendre, par le terme de tonicité,
la dynamique et l'énergie dans la formation d'un ensemble sonore, c'est-à-dire
que les sons eux-mêmes et entre eux se disposent de telle manière qu'ils
nécessitent une dynamique et une énergie similaires de la part de l'auditeur -
la manière n'est pas tonale mais tonique et ce n'est pas seulement d'un jeu de
mots ici dont nous jasons : le son et l'agencement des sons en tant que bruit
et/ou fréquence et amoncellement sonore laissent place à la tonitruance de
l'ensemble que constitue l'enregistrement. Les bruits du gong, des appeaux et
des bagnoles sont gueulants, mais pour qui laissera traîner ses oreilles sur ce
blog, ces éléments ne sauraient êtres les traces de l'énergie frappante
déployée dans cette modalité du festin nu que fût la pratique musicale, sinon
dans leur propension à faire entendre la manière que les différentes strates
sonores ont d'interagir : l'effet que produit l'un des éléments sur un autre,
leurs interférences sémantiques, leur efficience à être interprétés comme
localité, etc.
Petits
théoristes et pragmatistes dont nous sommes… Arrêtons là
notre glose, pour revenir à la question qu'un architecte bergeracois nous a
posé après la lecture de nos considérations sur le bâti, « alors que faire ? »,
à laquelle nous continuerons d'esquisser des éléments de réponse à travers la
petite conclusion que voici :
“ « À présent à
Naillac… », « Ce que ce séjour a eu de bouleversant… »,
« Quant à Fabien Ruet… », « La suite que nous pouvons envisager… »,
« C’est dans cet entre-deux, entre démolition et reconstruction,
que… », « Quitter Naillac fut… », « L’école de musique ne
s’étant toujours pas retournée vers nous… », ont été autant de débuts et perspectives de conclusions
évincés. C’est que nous préférons laisser toute sortie ramenant au territoire
criconscrit nommé Naillac à qui déciderait de se sacrifier à l’horizontalité du
sol plutôt qu’à la verticalité des frontières figurées, de s’adonner au
vague(s) du commun et du collectif et d’accompagner grandes mauves et ciboules
dans leur vacance immodérée. Bien que nous pourrions rêver d’un monde où les
maires et leurs adjoints cueilleraient des cerises sur des terrains vagues
peuplés d’enfants, ce sont les initiatives individuelles, la capacité d’organisation
collective, mais surtout la permanence de certains régimes de présence et
d’effectuation (marrade, prosaïsme, convivialité, goguenardise, détournement,
jovialité, antagonisme gracieux…) qui nous importent le plus…
Certes elle est un peu paumée et
il arrive par moments à certains de dire et de faire n’importe quoi, mais
il paraît évident que toute l’espèce humaine est déjà communiste et anarchiste.
”
1 “ Ah! Les beignets de fleurs d’acacia.
Pour 4 personnes
250 g. de farine
3 oeufs
30 cl de lait
20 cl de bière blonde
1 c. à café d'huile de tournesol
sucre en poudre
1 pincée de sel fin
1 vingtaine de grappes de fleurs d'acacia qu'il ne faut surtout pas laver
de l'huile pour la friture
Mélanger la farine avec le sel, les oeufs, le lait, la bière et l'huile afin d'obtenir une pâte bien fluide. Laisser reposer une heure ou deux.
Faire chauffer l'huile de friture et préparer, à proximité, un plat recouvert de papier absorbant et le sucre en poudre.
Dès que l'huile semble à bonne température, prendre une grappe de fleur d'acacia, par la tige. La tremper délicatement dans la pâte et la déposer dans l'huile bouillante. Surveiller la cuisson car le beignet va cuire très vite. A l'aide d'une spatule en bois, le retourner une fois puis le sortir de la friture et le déposer dans le plat. Saupoudrer de sucre. ”
2 Contre-pied : non sans rire, nous ne résistons pas à vous citer cet extrait du discours que Michel Boscher (entre autre, député maire d'Evry de 1947 à 1977) prononça lors de l'inauguration en 1975 de l’agora d’Evry (entre autre, centre commercial et culturel): “ Nul ne pourra s'approprier ces lieux publics pour en faire sa chose. Tout au contraire, le public très divers qui s'y pressera, je l'espère, devra pouvoir se reconnaître dans sa propre diversité à travers les spectacles qui y seront donnés... ” (cité par Rémy Butler et Patrice Noisette dans De la cité ouvrière au grand ensemble, p.168)
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1 “ Ah! Les beignets de fleurs d’acacia.
Pour 4 personnes
250 g. de farine
3 oeufs
30 cl de lait
20 cl de bière blonde
1 c. à café d'huile de tournesol
sucre en poudre
1 pincée de sel fin
1 vingtaine de grappes de fleurs d'acacia qu'il ne faut surtout pas laver
de l'huile pour la friture
Mélanger la farine avec le sel, les oeufs, le lait, la bière et l'huile afin d'obtenir une pâte bien fluide. Laisser reposer une heure ou deux.
Faire chauffer l'huile de friture et préparer, à proximité, un plat recouvert de papier absorbant et le sucre en poudre.
Dès que l'huile semble à bonne température, prendre une grappe de fleur d'acacia, par la tige. La tremper délicatement dans la pâte et la déposer dans l'huile bouillante. Surveiller la cuisson car le beignet va cuire très vite. A l'aide d'une spatule en bois, le retourner une fois puis le sortir de la friture et le déposer dans le plat. Saupoudrer de sucre. ”
Jeanne Delage, Cuisine traditionnelle du Périgord
2 Contre-pied : non sans rire, nous ne résistons pas à vous citer cet extrait du discours que Michel Boscher (entre autre, député maire d'Evry de 1947 à 1977) prononça lors de l'inauguration en 1975 de l’agora d’Evry (entre autre, centre commercial et culturel): “ Nul ne pourra s'approprier ces lieux publics pour en faire sa chose. Tout au contraire, le public très divers qui s'y pressera, je l'espère, devra pouvoir se reconnaître dans sa propre diversité à travers les spectacles qui y seront donnés... ” (cité par Rémy Butler et Patrice Noisette dans De la cité ouvrière au grand ensemble, p.168)
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